Un Gauchet décapant

Sud Ouest, 13/04/2007
Marcel Gauchet incarne ce que l'héritage de mai 68 a produit de meilleur. Sympa et hors normes .

Ce démocrate conséquent réfléchit autant à la politique qu'à la religion ou la psychiatrie. Toujours socialiste, Marcel Gauchet, grand intellectuel, animateur de la revue Le Débat, parle du libéralisme à visage découvert. Serait-il passé dans l'autre camp ? Non ! « Il y a un fait libéral qui constitue l'une des articulations de nos sociétés : les libertés publiques et l'indépendance de la société civile. » De ce point de vue, tous les non-totalitaires sont des libéraux. Selon lui, le vrai partage entre la droite et la gauche se fait sur la question de la justice sociale.

Dand le cadre des Rencontres IEP-« Sud Ouest », devant un amphi plein à craquer, en compagnie de Jean-François Bège, journaliste à Sud Ouest, Marcel Gauchet a répondu avec le sourire aux questions des étudiants de Science Po Bordeaux. « Le fait libéral est organisateur de nos sociétés en matière de liberté des individus, de posséder, d'entreprendre... Le fait libéral n'est pas le libéralisme. » Selon lui, depuis les années 70 « on a assisté à la destruction du conservatisme et du socialisme dans leurs expressions extrêmes. Le fait libéral est une dimension indépassable de l'époque moderne. » Pour autant, la société civile, à ses yeux, « ne peut pas se passer de l'Etat ».

Sortie de religion. Avec malice, Marcel Gauchet parle de la droite et de la gauche comme d'« une invention locale que l'on a fait connaître au monde ! ». « La droite veut la liberté des individus et l'autorité collective, avec beaucoup de prisons autour », résume-t-il. En revanche, il estime que « le socialisme veut la liberté totale des individus sauf pour les patrons ».

« Quand François Hollande dit "je n'aime pas les riches", cela me laisse perplexe, ajoute Marcel Gauchet. Le socialisme français vit sous l'empire d'un vieux complexe par rapport à la radicalité de l'extrême gauche. Il faut sortir du décalage entre la parole et les actes. Il faut sortir de cette équation. » A la manière des Allemands ou des Anglais.

« L'Etat ne peut pas tout mais constitue l'instrument de la réforme. A condition qu'il soit efficace et réformable. » Il estime, en l'occurrence, que le PS a du mal à réformer l'Etat et souligne plus généralement « les carences du personnel politique » sur cette question.

Le philosophe s'est également appesanti hier sur la religion. Rappelant que, pour lui, « le christianisme est la religion de la sortie de la religion. La vraie question est de savoir ce que les autres religions vont faire de cette sortie. Nous assistons à une refabrication de la religion par les individus qui n'ont pas envie de subir la loi de la communauté. » Dans cet esprit, « le communautarisme est un délit imaginaire », a-t-il lancé. Illustrant son propos avec humour : « "Je connais autant de communautés juives que de Juifs" me disait un ami rabbin. »

Francis Schwartz