Les journalistes ne sont pas seuls responsables de l’incurie relative de la campagne

Le Mensuel de l'Université, mai 2007

Le Mensuel de l’Université : Comme en 2002, de nombreux partis ont présenté des candidats, même si leur chance de remporter la victoire était, pour certains, très faible. Cette pléthore de candidatures a-t-elle constitué, selon vous, un dévoiement de l’élection présidentielle ou a-t-elle été le signe d’une bonne santé de la démocratie française ?

Marcel Gauchet : Je ne pense pas qu’on puisse parler de « pléthore ». Si on la ramène à l’essentiel, cette diversité de candidatures tient à la situation un peu pathologique de l’extrême gauche française. Trois représentants du trotskisme, c’est trop, sans doute. L’extrême gauche existe et il est légitime qu’elle soit représentée dans la campagne mais cette multiplicité de camps lui porte préjudice. Pour le reste, qu’il y ait une candidate écologiste - même si le courant écologiste est en train de mourir dans sa forme actuelle - ou des candidats d’extrême droite me paraît normal. Je ne m’indigne pas de cette pluralité, qui reflète des courants existants dans l’opinion française.

LMU : Quel regard portez-vous sur le déroulement du débat préélectoral ? Les questions essentielles vous semblent-elles avoir été abordées (Europe, recherche, emploi,...) ? Estimez-vous que les journalistes ont rempli leur rôle d’animateurs du débat ?

Marcel Gauchet : Non, les problèmes n’ont pas tous été soulevés et ceux qui l’ont été sont loin d’avoir été tous examinés de façon rigoureuse. Mais les journalistes ne sont pas les seuls responsables de cette incurie relative. Ils ne peuvent pas soumettre les candidats à la question et ne définissent pas l’agenda de la campagne. Ce sont les candidats qui imposent en grande partie leurs règles de communication. Il n’est que de voir de quelle façon François Bayrou, par exemple, est parvenu à orienter les caméras de télévision dans sa direction uniquement en reprochant aux médias de ne s’occuper que des deux principaux candidats.

LMU : La place que les sondages ont occupé dans la campagne vous a-t-elle semblé excessive ? Vous ont-ils paru de nature à alimenter le débat ?

Marcel Gauchet : Il faut être prudent sur la question des sondages. Ils sont utiles. Ce qui est dangereux, c’est leur usage acritique. Un sondage, cela suppose, pour être bien appréhendé, force comparaisons et nuances. Par exemple, les sondés font part aux sondeurs de leurs inclinations pour tel ou tel candidat à un instant donné mais le pourcentage des sondés sûrs de transformer leur préférence en vote est très souvent escamoté.

Parce que la restitution dans les journaux des sondages est souvent lacunaire, on fait parfois dire n’importe quoi aux sondages.

Toutefois, malgré ces défauts bien connus, l’intérêt des citoyens pour les sondages ne se dément pas. Cet intérêt s’explique notamment par le caractère inédit de la campagne électorale et de l’élection qui s’achèvent. Les sondages fournissent le fil rouge d’une dramaturgie en tentant de traduire une situation politique confuse en évaluations chiffrées.