Marcel Gauchet, l’homme curieux

Avec L’avènement de la démocratie, Marcel Gauchet rouvre le dossier du Désenchantement du monde.

Mais le philosophe est aussi l’un des animateurs du Débat, observateur actif de la vie politique. Et des médias.

Entretien accordé à Livres Hebdo paru le 09 novembre 2007

Depuis les années 1970, la démocratie vit une nouvelle crise – la deuxième, selon Marcel Gauchet, après celle de 1930. Pour mieux comprendre ce difficile Avènement de la démocratie, le philosophe brosse une fresque intellectuelle des XIXe et XXe siècles. Les deux premiers volumes – qui paraissent maintenant – reviennent aux origines. Dans La révolution moderne, Marcel Gauchet retrace l’émergence de la notion d’autonomie, dont l’individualisme est l’un des aspects. Ce prologue mène des guerres de Religion jusqu’aux années 1900. Le second tome, La crise du libéralisme, fait revivre le mouvement des idées de 1880 à 1914. Viendront ultérieurement A l’épreuve des totalitarismes puis Le nouveau monde, consacré à la vie de nos sociétés depuis le milieu des années 1970. Parallèlement, le philosophe publie une utile synthèse des analyses développées dans ces quatre volumes : La démocratie d’une à l’autre. Ce texte est issu d’une conférence donnée au lycée David-d’Angers, à Angers, en juin 2006.

Livres Hebdo : Vous présentez les quatre volumes de L’avènement de la démocratie - deux parus, deux à venir - comme la « suite » du Désenchantement du monde (1985). Cette tétralogie semble plutôt en reprendre la matière et la réorganiser. Vingt-deux années ont passé. Les sociétés, les idées ont évolué, depuis…

Marcel Gauchet : On change d’angle, en effet. Mais il s’agit bien d’une « suite ». Pour autant, Le désenchantement du monde n’était pas un crayonné rapide, né d’une intuition. J’ai consacré à sa rédaction une dizaine d’années de travaux préparatoires. A partir de ce matériau, je faisais un certain nombre de propositions sur les liens entre religion et politique. Quelle est la part organisatrice du religieux dans l’histoire des sociétés ? Comment l’Occident en est-il venu, sur cette base, à « sortir » de la religion ? Pourquoi ce « désenchantement du monde » constitue-t-il notre originalité ? Pourquoi s’est-il fait à partir du christianisme, paradoxale religion de la sortie de la religion ? Dans L’avènement de la démocratie, j’applique mes propositions à un cadre précis. Je remets en jeu mon modèle. Je le confronte de façon concrète et circonscrite aux deux crises de croissance de la démocratie : celle des années 1930 et celle des années 1970. L’avènement est une histoire philosophique du XXe siècle, une théorie de la démocratie, une anatomie du monde « désenchanté ». Notre monde, sorti du religieux, reste travaillé – voire organisé – par la religion dont il n’a pas toujours la mémoire et moins encore la maîtrise.